Par Lionel Dieu
Extrait très intéressent pour les guitaristes
Dans l'histoire de la musique, le cycle du Clavier bien tempéré de Jean Sébastien Bach (172O et 174O) constitue la référence. Par rapport à cette œuvre majeure, Bartolotti propose une pièce permettant d'enchaîner les 24 tonalités. Même si dans le langage analytique, le parcours tonal s'entend par une ouverture vers la dominante suivie d'un retour à la tonalité d'origine, les 24 passacailles de Bartolotti fournissent un élément de réponse à Jean Duron qui écrivait en 1992 dans le Dictionnaire de la Musique en France aux XVIIème et XVIIIème siècles (Fayard): "Il reste encore à trouver qui, parmi les compositeurs de la fin du XVIIème s., eut l'idée du parcours tonal. J.B. Lully fut parmi ceux-ci et dès le Miserere (1664)." Ce musicien n'est ni un luthiste, ni un claveciniste, mais un guitariste, catégorie de compositeur généralement mal considérée par les commentateurs qui devraient réviser leur jugement pour les praticiens de l'époque baroque. Au milieu du XVIIe siècle, les œuvres françaises pour clavecin, (Louis Couperin et surtout Chambonnière) démontrent l'influence considérable du luth dans la littérature de clavier. Les livres de guitare et de luth prouvent que l'évolution du système d'écriture se fit par l'intermédiaire des instruments à cordes pincées.
Le luthiste italien Gorzanis avait démontré, vers 1580, la possibilité de composer dans les 24 tonalités. Mais, sa pensée restait modale, il reprenait même des pièces identiques transposées dans une tonalité voisine. Les suites de passacailles ou de chaconnes "per tutte le lettere" (soit les 24 tonalités, parfois un peu moins) étaient assez pratiquées par les guitaristes au milieu du XVIIème siècle: Antonio Foscarini (1629), Antonio Carbonchi (1640 et 1643), Francesco Corbetta (1643 et 1648), Granata (1646), Pellegrini (1650). Ces compositeurs proposaient des suites d'accords battus, parfois avec des variations, ou des pièces plus écrites chez Corbetta. Foscarini n'utilise pas l'ouverture vers la dominante, mais Corbetta qui publie quelques années après Bartolotti présente le même parcours tonal que son compatriote avec : modulation vers le relatif mineur (ou la tonalité suivante majeure) à la fin de la passacaille, puis, nouvelle passacaille dans la tonalité finale de la précédente. Bartolotti semble être le premier à avoir réalisé l'enchaînement complet des 24 tonalités, mais le livre de Foscarini montre la précocité de l'utilisation systématique du système tonal, succession d'accords excluant totalement la modalité.
L'année 1629 constitue désormais la date charnière pour situer l'utilisation systématique de la tonalité. Avec Bartolotti le parcours tonal vers la dominante apparaît en 1640. Ces dates démontrent que l'évolution de l'écriture ne s'effectua pas par l'intermédiaire du clavier, mais par celui des instruments à cordes pincées.